Dans quelques jours, la Cour sera amenée à rejuger la tristement célèbre affaire «Éric contre Lola». Les juges entendront les arguments contestant la constitutionnalité de certaines dispositions du Code civil du Québec, qui ne reconnaît aucune obligation alimentaire entre conjoints de fait, ainsi que les arguments de la partie adverse, centrés sur la liberté individuelle et sur le respect, par l’État, du droit de faire délibérément le choix de ne pas se marier et de ne se devoir aucune obligation alimentaire.
Éric c. Lola, comme cette affaire a été baptisée et largement médiatisée, devrait déchaîner en appel le même cirque médiatique que l’été dernier lorsque cette cause a été entendue par la Cour supérieure. À l’issue de ce procès, la juge a statué que seuls les conjoints mariés étaient assujettis aux lois du Québec régissant l’obligation de soutien réciproque. La Cour a par ailleurs indiqué que tout changement à ce chapitre était du ressort du pouvoir législatif.
Nul doute qu’il faudra témoigner de beaucoup de rigueur pour déterminer s’il est anticonstitutionnel de refuser aux couples non mariés le droit à une pension alimentaire, sachant que ce droit est reconnu dans certaines circonstances dans d’autres ressorts territoriaux du Canada. Ce point, et non le brouhaha médiatique autour des parties en cause (un célèbre multimillionnaire et son ex), est véritablement au coeur de cette affaire.
Questions épineuses
La Cour supérieure a probablement eu raison de déclarer qu’il appartenait à l’Assemblée nationale de légiférer sur la question des conjoints de fait au Québec. Quoi qu’il en soit, l’analyse que la Cour d’appel choisira de suivre fixera inévitablement les paramètres de tout débat législatif susceptible d’en résulter. Il est donc important qu’elle cadre ces questions de manière à la fois explicite et exhaustive.
Celle-ci doit notamment éclairer les législateurs sur les questions juridiques et politiques les plus épineuses de cette affaire. Les observateurs devraient par ailleurs noter que cette cause n’est que l’un des nombreux signes avant-coureurs de fractures beaucoup plus profondes dans le droit de la famille et la politique sociale du Québec. La manière dont ces fractures seront réduites aura des conséquences tangibles sur l’avenir de nombreux couples ici, au Québec.
Liberté individuelle
La décision de la Cour supérieure a très largement pris appui sur la valeur de la liberté individuelle. Mais la rhétorique de la liberté individuelle a souvent pour effet d’imposer la volonté de l’un sur l’autre et, dans le cas qui nous occupe, celle d’Éric sur celle de Lola, à savoir la décision de ne pas se marier. Il n’est donc pas tout à fait vrai que la loi du Québec respecte uniformément le libre arbitre et le choix.
De fait, le contraste entre le traitement que la loi fait des couples mariés et des couples non mariés au Québec est frappant. Le Code civil du Québec insiste lourdement sur ce que les conjoints se doivent l’un à l’autre (par exemple, «secours et assistance») et sur leurs obligations réciproques («les époux assurent la direction morale et matérielle de la famille»).
Le contrat de mariage serait-il vraiment l’instrument magique qui transforme en cellule interdépendante deux êtres ayant librement choisi de s’engager? La stricte distinction que la loi établit entre les couples mariés et les couples non mariés ne serait-elle pas plutôt le reflet de la volonté de maintenir une ferme distinction entre ces deux types d’unions? Le cas échéant, la Cour devra s’interroger sur les fondements d’une telle distinction et formuler un certain nombre d’analyses à ce sujet.
Hors mariage
Le corps législatif pourrait avoir de bonnes raisons de distinguer les différents types d’unions conjugales. Le cas échéant, ces raisons devront pouvoir s’exprimer librement et être entendues par un public qui tend de plus en plus à vivre, procréer et aimer dans le cadre d’unions hors mariage: en 2006, trois cinquièmes des enfants du Québec étaient nés de parents non mariés.
Les questions constitutionnelles que soulève cette affaire, à savoir le droit à l’égalité des parties dans les unions non mariées, sont importantes et ne doivent pas être esquivées. Dans l’affaire Éric c. Lola, la Cour supérieure s’est abondamment reportée à un jugement récent de la Cour suprême confirmant la validité de la loi de la Nouvelle-Écosse limitant le partage des biens composant le patrimoine familial aux seuls couples mariés.
Mais cette affaire concerne l’obligation alimentaire entre conjoints et non la séparation des biens acquis par les parties pendant le mariage. Il appartient à la Cour d’appel de préciser si ces deux cas de figure justifient un traitement juridique différent et, le cas échéant, en expliquer la raison.
Enfin, la Cour ne peut ignorer que les droits et intérêts supérieurs des enfants des couples non mariés sont également en jeu, s’il est admis que la stabilité financière des parents agit sur leur bien-être. Cette question figurera précisément au coeur des délibérations de la Cour suprême du Canada dans le cas où l’affaire Éric c. Lola serait portée devant cette instance. Il serait avisé pour la Cour d’appel de soumettre dès maintenant cette question à l’attention de l’Assemblée nationale.
Joanna Baron est étudiante de troisième année à la Faculté de droit de l’Université McGill