Au Québec, on surnomme Louise Otis « la mère de la médiation ’, car, en 1997, elle introduisait un programme de médiation judiciaire au sein de la Cour d’appel du Québec. Nommée Chercheure Boulton Senior à la Faculté de droit pour l’année universitaire 2010-2011, l’ancienne juge de la Cour d’appel a récemment rencontré notre journaliste Victoria Leenders-Cheng pour discuter de la façon dont la médiation peut aider les justiciables, autant dans les pays ayant un système judiciaire bien établi que là où la primauté du droit est encore en développement.

Qu’est-ce qui caractérise la médiation judiciaire et comment a-t-elle démarré au Québec?

C’est un système où les parties ne sont pas forcées de venir en médiation, mais choisissent cet instrument de résolution de conflit. Donc, je dirais en première instance que c’est pour régler le plus rapidement possible et au moindre coût possible ce qui va devenir un litige sérieux. On tente sa chance avant de déployer l’artillerie lourde.
Le programme a démarré en 1997 à la Cour d’appel de Québec d’une manière assez étonnante. D’habitude et jusque-là, les programmes de médiation étaient imaginés et conçus pour les matières de moindre importance et plutôt devant des tribunaux adminstratifs que devant les cours de justice, donc plutôt pour les matières administratives. Évidemment, il a démarré dans le scepticisme général, parce que personne ne croyait vraiment qu’il pouvait y avoir de la médiation volontaire.

C’était un gros projet: comment avez-vous relevé ce défi?

J’étais à l’époque la seule juge médiatrice, alors j’ai fait la médiation pendant le projet pilote. Ce furent des années extrêmement intéressantes, et extrêmement fatigantes, mais cette idée d’instaurer un nouveau système me portait. Voulant montrer que ça marchait, j’ai pris des litiges difficiles, des litiges qui m’ont demandé énormément de temps au début, beaucoup de litiges familiaux aussi. J’ai bâti une banque de données et de statistiques, et des outils de références pour pouvoir démontrer la viabilité de la médiation à la cour d’appel. C’était mon défi et j’avais 18 mois pour le relever.

Au terme du programme, on a constaté qu’une centaine de demandes de médiation volontaire avaient été déposées et environ 80 pour cent de ces causes avaient été réglées en médiation. Voilà maintenant 13 ans qu’on a lancé le programme et aujourd’hui, de la Cour d’appel aux tribunaux administratifs, le système judiciaire du Québec a intégré la médiation comme mode de résolution de conflit dans son appareil de justice.

Quels sont vos plans à présent?

Maintenant que j’ai quitté la Cour d’appel, je suis devenue médiatrice privée en matière civile et commerciale, et j’enseigne à McGill et aussi à la magistrature à l’extérieur du pays.

L’an dernier, la Conférence internationale de médiation pour la justice (CIJM) était lancée à Paris, où des juges occidentaux donnent bénévolement de leur temps pour former des juges d’Afrique, d’Asie, des Philippines, d’Amérique du Sud. En fait, tous les pays qui sont désireux d’établir un système de médiation, mais qui n’ont pas la formation.

Quel potentiel offre la médiation dans les pays dont le système judiciaire est encore en développement?

Ce qu’on a constaté en Afrique ou en Amérique du Sud, c’est qu’il n’y a aucun accès à la justice. La justice profane, c’est-à-dire la justice rendue par les gens eux-mêmes, ce que j’appelle balayer les litiges et les conflits en dessous du tapis, ils l’administrent eux-mêmes. On sait qu’une justice profane, quand il n’y a pas de système de justice formelle pour la soutenir, conduit à la discrimination.

Qui paye le coût d’une justice profane quand il n’y a pas de justice formelle? Les enfants, les personnes vulnérables, les personnes affectées d’une déficience et les personnes âgées, bref ceux et celles qui n’ont ni rapport de force, ni pouvoir.

Si la justice formelle – même bancale, même imparfaite – offre des services de médiation, ces personnes auront accès à une justice participative et, avec la médiation, ils seront au moins entendus par quelqu’un.

Comment introduire la médiation dans ces pays?

Cet été à la CIMJ, nous avons invité des juges du monde entier et des juristes médiateurs à venir suivre une formation judiciaire. Nous avons accueilli une trentaine de personnes d’une vingtaine de pays. On comptait des juges de la Cour supérieure du Rwanda, des juges d’Ouganda, du Sri Lanka, du Bangladesh, et d’Indonésie, qui ont passé ensemble six jours de formation intensive.

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’une fois repartis, ces gens ont établi un réseau. Je vois passer les questions par courriel régulièrement : « J’ai tel problème; toi, comment réglerais-tu ça? » « Comment fais-tu tes fiches d’invitation à la médiation? « Est-ce que la confidentialité des informations importe si on permet l’échange entre les parties? »
Ils s’échangent de l’information, ils sont restés proches et ils ont créé une solidarité internationale.

Introduire un système de médiation dans un autre pays ne doit pas toujours être facile.

Je dis toujours quand je parle devant un auditoire international que l’objectif est de faire la formation de médiation en respectant leur propre culture. Que ce soit pour mettre en place la médiation judiciaire, que ce soit pour entamer une réforme judiciaire générale, ce n’est pas la petite boîte à outils occidentale qui établira la règle de droit dans tous les pays du monde. Ça ne marchera pas.

C’est pour cela que plusieurs projets de réforme de justice en Afrique ont échoué. On ne peut pas importer en Afrique une culture qui n’est pas la leur et leur donner des normes auxquelles ils ne croient pas.

Je me rappelle avoir donné un cours de médiation à l’Université de Moscou et une étudiante fort brillante a levé la main pour me demander : « Juge Otis, comment voulez-vous que nous comprenions la médiation? En Russie, nous ne savons même pas ce qu’est le contrat! »

Tout ceci m’amène à dire qu’il faut donner une formation générale, c’est tout; pour le reste, il faut leur permettre d’intégrer leur culture, leur religion, leur langue et leurs habitudes de vie à l’intérieur du processus de médiation, ce à quoi les juges occidentaux sont bien impuissants. On peut, bien sûr, les assister, mais on ne peut pas avoir une connaissance totale de leur culture; il faut plutôt qu’ils développent des systèmes qui leur ressemblent.


Photos: Lysanne Larose.