Deux traineaux à chiens et une motoneige circulent dans un paysage enneigé du Grand Nord.

Cela faisait plusieurs années que l’Association de droit autochtone de la Faculté (ILADA), que j’ai l’honneur de présider, cherchait à recevoir l’illustre Sheila Watt-Cloutier. Finalement, c’est la réalité virtuelle sous-tendant la présente pandémie qui nous a permis de connecter avec Mme Watt-Cloutier en direct de Kuujjuaq, à quelque 1 400 km de Montréal.

Le 10 mars, j’ai eu la chance d’animer une discussion qui a réuni une trentaine de personnes et qui s’intitulait « Inuit Northern Landscapes: Reimagining a Way Forward with Sheila Watt-Cloutier ». Entre autres, sa présentation a déconstruit le statut de victime trop souvent associé aux peuples Inuits. Elle a aussi rappelé l’importance d’intégrer les savoirs traditionnels inuits dans nos discussions relativement aux enjeux contemporains qui nous affectent tous.

Par Simon Filiatrault, étudiant au BCL/JD et président d’ILADA

NDLR: Ceci est une version abrégée de l’article. Lire l’article au complet [.pdf].

Mme Sheila Watt-Cloutier
Mme Sheila Watt-Cloutier

Nous sommes privilégiés de pouvoir étudier le droit selon l’approche transsystémique propre à la Faculté, qui situe sur un pied d’égalité les différentes traditions juridiques autochtones avec la common law canadienne et le droit civil québécois. Toutefois, les traditions juridiques autochtones sont si nombreuses et uniques qu’il est inévitable que certaines soient délaissées au profit d’autres qui se prêtent plus facilement à des généralisations. Les traditions juridiques inuites n’y échappent pas et ne sont que rarement abordées dans le cadre de nos cours.

Cette lacune se comprend aisément : la proportion de personnes Inuites dans le corps professoral est nulle et très faible dans le corps étudiant. Nous étions donc impatient.e.s d’en apprendre plus sur les traditions juridiques inuites et Sheila Watt-Cloutier était à nos yeux la personne idéale pour traiter de ces enjeux. Mme Watt-Cloutier est une militante Inuite qui a grandement rayonné sur la scène internationale. En lice pour le Prix Nobel de la paix en 2007, elle a longtemps déployé ses efforts dans la défense des droits humains, culturels et environnementaux non seulement pour les peuples Inuits de l’Arctique, mais aussi, dans un certain sens, pour l’humanité au complet.

Après avoir brossé un bref portrait des traumatismes historiques vécus par les peuples Inuits et de certaines notions fondamentales des traditions juridiques inuites, Mme Watt-Cloutier a partagé d’inspirantes pistes de solutions pour les enjeux que nous affrontons actuellement. Plusieurs de ses enseignements résonnent encore en moi aujourd’hui, et il est malheureux que la conférence n’ait pu être enregistrée. Le présent article se veut un résumé de cette passionnante discussion.

Une double prise de conscience, éclairée par le savoir traditionnel inuit

Sheila Watt-Cloutier photographiée près d'un village Inuit.
Mme Sheila Watt-Cloutier photographiée sur un promontoire près de Kuujjuaq, région de Nunavik.

 

Faute d’espace, j’insisterai sur les propos inspirants que Mme Watt-Cloutier a cherché à nous transmettre relativement à une prise de conscience qui doit s’effectuer à deux niveaux.

Sur le plan collectif, elle nous a incités à faire preuve davantage d’imagination relativement aux solutions à adopter pour affronter les enjeux actuels. Une importante part de la solution réside dans le réalignement nos valeurs économiques avec celles des traditions autochtones, qui sont basées sur des valeurs d’équité, de respect, de partage et de non-gaspillage. Ces valeurs et ces perspectives sont essentielles à l’avenir de l’humanité, selon Mme Watt-Cloutier. Pour la citer, « the medicine that the world seeks is the Indigenous knowledge and wisdom ». Ayant une place privilégiée dans la société, nous devons faire preuve d’imagination collective. Il nous appartient ainsi de résister à la tentation de nous tourner vers les solutions futiles que propose le capitalisme.

Sur le plan individuel, Sheila Watt-Cloutier avance qu’une véritable transformation personnelle doit aussi s’opérer afin que notre for intérieur se reflète sur le monde extérieur. « Personal transformation can and does have global effects. As we go, so goes the world, for the world is us. The revolution that will save the world is ultimately a personal one », a-t-elle affirmé. D’où l’importance de se forger un caractère afin de devenir de véritables vecteurs de changement.

En tant que futurs juristes, nous serons à l’avant-garde de l’application du droit. Il nous incombera de mettre notre savoir, notre expérience et notre raisonnement critique au service du bien commun, d’où l’importance de tirer le maximum de notre formation juridique. Mme Watt-Cloutier nous a aussi rappelé que la manière dont nous raisonnerons sera encore plus important que nos connaissances académiques. En ce sens, les études en droit sont un véritable processus de construction du caractère, caractère qui nous mènera là nous devrons aller. Cette approche holistique qui ne sépare pas la technique du tempérament est typiquement inuite, et elle mérite qu’on s’y attarde.

Cette présentation de Sheila Watt-Cloutier était marquante à plusieurs niveaux. En 90 minutes, j’ai appris plus sur les Inuits et leurs traditions juridiques que durant toute ma vie. De plus, Mme Watt-Cloutier a démoli les stéréotypes que j’avais formés à travers mes cours d’histoire et les médias qui les présentent trop souvent comme des victimes dont le Canada se prétend le sauveteur.

Finalement, la présentation m’a rappelé l’importance d’accorder une place privilégiée aux savoirs traditionnels inuits et autochtones dans nos discussions relativement aux multiples enjeux qui nous affectent tous. Une telle inclusion est nécessaire non seulement pour des questions de pluralisme juridique et de justice, mais également pour le bien des Canadiennes et Canadiens qui sont à court de solutions.

En ces temps difficiles où nous perdons nos points de repère, ses paroles se sont avérées aussi rassurantes qu’éclairantes.

À lire également

Pour en apprendre davantage sur les Inuits et les traditions juridiques inuites, je vous conseille fortement le livre de Sheila Watt-Cloutier, The Right to Be Cold: One Woman’s Story of Protecting Her Culture, the Arctic and the Whole Planet (Penguin-Random House, 2016).

Pour un article de Sheila Watt-Cloutier qui résume bien son livre, lisez également “Upirngasaq (Arctic Spring)” (Granta, Nov. 2020).

Lire l’article complet de Simon Filiatrault [.pdf]