Sous le charme de Singapour
Frédéric Bachand, professeur agrégé à la Faculté de droit de McGill et spécialiste de l’arbitrage, effectue présentement un séjour sabbatique à Singapour pour effectuer de la recherche en matière d’arbitrage, où il est tombé sous le charme.

Je vous écris de l’autre bout du monde – littéralement! –, à mi-parcours d’un séjour de recherche de deux mois que j’effectue dans le cadre de mon congé sabbatique. On m’avait dit beaucoup de bien de Singapour et, pour être bien franc, un peu de mal aussi, mais je dois vous avouer qu’après un mois, je suis tombé sous le charme. Mais pas au point de remettre en question mon amour pour Montréal, qui demeure inébranlable…

Il est difficile de ne pas être fasciné par ce qu’a accompli cette cité-État, passée – en à peine trente ans – d’un pays du tiers-monde à l’un des pays où le niveau de vie est le plus élevé.

« Et c’est sans parler des trois coups de canne qu’on m’administrera si j’oublie de demander la prorogation de mon visa dans les délais prescrits. Mais la situation évolue rapidement depuis quelques années, et elle évolue incontestablement dans le sens d’une plus grande liberté individuelle. »

Mais Singapour n’est pas qu’un success-storyéconomique : dès notre arrivée, on est frappé par l’état ahurissant des infrastructures publiques, l’urbanisme et l’architecture avant-gardistes, l’abondance d’espaces verts, la paix sociale qui y règne, l’absence de pollution et – ce que tout Montréalais appréciera particulièrement… – la fluidité de la circulation routière à toute heure de la journée. On comprend rapidement que derrière cette réussite se cache une fonction publique d’une redoutable efficacité et qui ferait sans doute l’envie de ceux et celles qui se plaignent d’un certain immobilisme qui paralyserait parfois le Québec.

Certes, le modèle singapourien demeure bien imparfait, du moins aux yeux de la plupart des Occidentaux : médias sous le joug d’un parti au pouvoir depuis l’indépendance, société civile qu’on dit atrophiée, taux d’exécution capitale par personne le plus élevé au monde, inégalité de la distribution des revenus relativement importante.

Et c’est sans parler des trois coups de canne qu’on m’administrera si j’oublie de demander la prorogation de mon visa dans les délais prescrits. Mais la situation évolue rapidement depuis quelques années, et elle évolue incontestablement dans le sens d’une plus grande liberté individuelle.

Une autre chose m’a frappé : si l’arbitrage international était une ville, il est fort à parier que les Singapouriens s’y sentiraient comme chez eux. Modèle d’intégration de la diversité culturelle et d’ouverture sur le monde, plaque tournante du commerce international, Singapour est elle aussi animée par une quête constante d’efficacité qu’elle poursuit en s’inspirant souvent des meilleurs éléments des systèmes étrangers. Elle a tout pour concurrencer sérieusement Paris, Londres, New York, Stockholm et Genève. Et le gouvernement ainsi que les juristes locaux pratiquant dans le domaine l’ont très bien compris.

En effet, on y poursuit depuis plusieurs années une ambitieuse politique visant à faire de Singapour l’un des principaux centres d’arbitrage au monde. Elle a d’abord conduit à la mise sur pied du Singapore International Arbitration Centre, à l’adoption de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international et à une campagne de sensibilisation auprès de la magistrature, aujourd’hui bien au fait de la spécificité de l’arbitrage commercial international. Mais la pièce maîtresse de cette politique, c’est l’année dernière qu’elle a été dévoilée au monde de l’arbitrage international : Maxwell Chambers, un centre d’arbitrage financé à coup de dizaines de millions de dollars par le gouvernement et que j’ai eu le privilège de visiter au début de mon séjour.

On en ressort bouche bée. Maxwell Chambers, c’est un complexe somptueusement rénové situé dans un magnifique édifice de quatre étages en plein cœur de Singapour. Non seulement y trouve-t-on 14 salles d’audience ultra modernes et parfaitement adaptées aux besoins des parties et des arbitres, on y trouve aussi les bureaux singapouriens des principales institutions d’arbitrage.

En effet, on a eu la brillante idée d’inviter les principaux joueurs dans le domaine à s’y installer. Et l’initiative a fait mouche : Maxwell Chambers compte parmi ses locataires la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce international, la London Court of International Arbitration, la Cour permanente d’arbitrage, l’International Centre for Dispute Resolution, le Centre international pour le règlement des différends relatif à l’investissement, le Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et, bien sûr, le centre d’arbitrage singapourien. De toute évidence, Singapour a frappé un grand coup.

Mais je vous assure, elle a énormément à offrir même à ceux que l’arbitrage international laisse profondément indifférents! J’aimerais bien avoir le temps de vous parler de la fabuleuse gastronomie singapourienne et du climat enchanteur, mais je dois filer, le Jardin botanique m’attend…

Bien cordialement,
Frédéric Bachand