Caveat Emptor: Que vous ayez acheté un téléphone cellulaire pour Noël, pris un abonnement au gym pour tenir vos résolutions du Nouvel An ou commandé un livre sur Internet récemment, il serait sage d’étudier de plus près les conditions et clauses qui accompagnent votre achat.

Geneviève Saumier

La professeure Geneviève Saumier, une spécialiste en droit de la consommation et en règlement international des conflits, nous explique pourquoi les contrats que nous signons à titre de consommateurs posent problème et comment les recours collectifs et l’arbitrage font partie du processus de résolution des conflits et de quelle façon nos achats en ligne interpellentle droit de la consommation et le droit international.

Commençons par une question fondamentale du droit de la consommation : qu’arrive-t-il si un consommateur n’est pas satisfait d’un produit ou d’un service qu’il a acheté?

L’idée qu’on est insatisfait d’une transaction et qu’on se dirige vers les tribunaux, c’est l’idée que se fait l’étudiant en droit, mais ce n’est pas la réalité. Les recours collectifs permettent aux consommateurs ayant de petites revendications qui ne vaudraient pas la peine d’être poursuivies de les regrouper pour trouver une solution juridique à leur problème. Mais en fait, le recours aux tribunaux n’est qu’une infime partie des moyens que les consommateurs peuvent prendre pour exprimer leur mécontentement à l’égard une expérience de consommation. La plupart du temps, ils vont simplement cesser d’utiliser le bien ou éviter de choisir ce commerçant.

Entre le consommateur qui se présente devant un tribunal et celui qui cesse tout bonnement d’utiliser un service ou un produit médiocre, il y a aussi la solution de l’arbitrage.

Ce nouveau mouvement, le recours à l’arbitrage, est un mode alternatif, non-judiciaire, de règlement de litige. Depuis environ 20 ans, les grandes compagnies aux États-Unis insèrent dans les contrats de consommation des clauses qui imposent l’arbitrage au consommateur.

Mais ce choix de l’arbitrage par les commerçants n’est pas nécessairement un choix légitime. Ce n’est pas parce qu’ils veulent aller en arbitrage, mais plutôt parce qu’ils cherchent à exclure d’autres moyens, tel le recours collectif, qu’ils perçoivent comme allant contre leurs intérêts.

L’affaire Dell Computer Corporation de 2007 en était justement une où  la filiale canadienne d’une compagnie américaine, Dell, avait introduit dans son contrat d’achat en ligne une clause d’arbitrage obligatoire. La Cour Suprême, qui devait se prononcer sur le conflit potentiel entre les lois qui cherchent à protéger l’accès aux tribunaux pour les consommateurs et ces clauses imposant l’arbitrage, a préféré donner priorité à la politique en matière d’arbitrage. Cette décision a vraiment mis la question du règlement des litiges de consommation à l’avant-scène.


Un débat fait rage à propos du recours à l’arbitrage dans les litiges de droit de la consommation. Pourquoi?

Il y a un courant de pensée qui dit que l’arbitrage de consommation devrait être rejeté parce que, par définition, le consommateur est désavantagé par cette approche (par exemple, dans Dell, l’arbitrage devait être administré par un organisme privé situé aux États-Unis, régi par le droit de l’arbitrage américain, le tout expliqué sur un site web uniquement en anglais.) Inversement, il y a des défenseurs de l’arbitrage, qui disent que l’arbitrage est plus efficace, plus accessible, moins coûteux, et plus simple.

Historiquement, l’arbitrage s’est développé dans un cadre particulier, un cadre commercial où les parties négociaient leurs contrats sur un pied d’égalité. On tient pour acquis que le contrat est le résultat d’une entente entre les parties et ceci rejoint donc la théorie classique du contrat où c’est la volonté des parties qui justifie qu’elles soient contraintes à respecter leurs engagements.

Il est difficile de transférer cette notion au domaine de la consommation, surtout dans un contexte où le contrat d’adhésion est la norme en matière de consommation, c’est-à-dire où le contrat est à la fois le contenu et la forme contractuelle imposée par l’une des parties.

Ce n’est pas tant que l’arbitrage en soi est à rejeter, mais plutôt qu’il faudrait l’imaginer différemment dans le contexte de la consommation.

Donc, quand je vais m’acheter un téléphone cellulaire, par exemple…

… donc si vous allez acheter un cellulaire, vous n’êtes pas en mesure de négocier les modalités ou le contenu du contrat.

Vous avez le droit de choisir entre différentes compagnies – l’idée étant que la concurrence vous donne des options – même si dans notre contexte, on sait que les options sont multiples, mais se ressemblent toutes. Le consommateur est en mesure donc de choisir sur le marché, mais il choisit seulement entre différents contrats d’adhésion et son choix est limité à ce qui est offert.

J’ai signé un contrat de trois ans pour mon cellulaire, mais je n’ai pas l’impression que j’avais vraiment le choix des conditions!

Dans le contexte du contrat d’adhésion, l’idée que la clause d’arbitrage dans le contrat est issue de la volonté des deux parties est évidemment trompeuse.  Le problème est que, même en matière de droit de la consommation, on continue d’opérer dans le modèle classique du contrat, où l’on considère qu’il est l’effet de la volonté des deux parties. On continue d’opérer ainsi, car il serait très difficile de fonctionner dans une économie de marché sans ce modèle.

Ce problème est si évident que les législateurs au Québec et en Ontario et dans plusieurs États américains ont décidé de réduire la portée des clauses d’arbitrage dans les contrats de consommation ou de les prohiber complètement.

Très récemment, le Québec a aussi adopté de nouvelles dispositions pour les contrats de téléphones cellulaires, limitant par exemple les pénalités que les entreprises de télécommunications peuvent imposer lorsque vous voulez mettre fin à un contrat de cellulaire avant l’échéance.

L’explosion du commerce sur Internet introduit également des dimensions de droit international dans l’équation.

Si vous achetez un ordinateur ou un livre sur Internet et le faites livrer chez vous, vous ne savez peut-être même pas que vous effectuez une transaction transfrontalière et que le produit vient d’une autre province canadienne ou encore des États-Unis.

Évidemment, cette situation s’inscrit dans un contexte juridique international,  qui est différent du contexte local. Le consommateur qui serait mécontent et qui voudrait par exemple poursuivre le commerçant devant la Cour des petites créances aura des difficultés additionnelles si le commerçant se trouve à l’étranger.

Je dirais que la plupart des systèmes juridiques n’ont pas encore vraiment confronté de façon déterminante l’effet de ces transactions.  Même si le chiffre d’affaires des transactions faites par Internet dépasse maintenant les milliards de dollars, il n’en demeure pas moins que le droit a des difficultés à concilier sa nature encore très territoriale avec ces nouvelles formes de transactions.

Ma recherche vise à poser un regard sur cette dimension transfrontalière des relations de consommation, afin de mieux comprendre comment le droit peut s’adapter et répondre à cette nouvelle réalité économique.


Photos: Lysanne Larose; Texte: Victoria Leenders-Cheng